BELGIQUE: Pour le gouvernement, chaque citoyen doit être surveillé
Si cela ne tient qu'au gouvernement, on ne pourra bientôt plus téléphoner, envoyer un e-mail ou surfer sur le net sans qu'une trace de ces activités soit conservée.
Deux ministres ont d'ailleurs été chargés d'élaborer une loi.
Raf Jespers
Une nouvelle loi est en préparation. Si elle est appliquée, toutes les données relatives au trafic téléphonique etInternet seront enregistrées par diférents services de l'État... (Photo Irita Kirsbluma/Flickr)
En
mars dernier, les ministres de l'Économie, Johan
Vande Lanotte (sp.a), et de la Justice,
AnnemieTurtelboom (Open Vld), ont
présenté un projet de loi obligeant les sociétés
de télécommunication et les fournisseurs d'accès à
Internet à conserver durant douze mois toutes les
communications passant par eux. Il ne s'agit pas
de conserver le contenu lui-même, mais le
destinataire, la durée de la communication,
l'adresse IP utilisée, le nom de la personne qui a
payé la communication, le volume des données
envoyées et téléchargées, les services sur
lesquels l'abonné est enregistré… Autrement dit,
toutes les données relatives au trafic
téléphonique et Internet sont
enregistrées.
Selon les ministres, cette mesure
est indispensable pour lutter contre la grande
criminalité. Cette loi fait donc de chaque
citoyen un criminel potentiel à
surveiller. Et, à l'avenir, toutes les
données se rapportant au trafic téléphonique et
internet seront conservées.
Ce n'est pas tout.
La Sûreté de l'État et les services de
sécurité de l'armée auront accès à ces
données. Lorsqu'on sait que le domaine
d'activité de ces services est très vaste, on peut
craindre que, si cette nouvelle loi est votée,
toute opposition sociale à la politique de l'Union
européenne et du gouvernement sera passée au
peigne fin.
Illégale dans quatre États
Selon
les ministres Vande Lanotte et Turtelboom, ils
sont obligés de rédiger cette loi, car s'ils ne le
font pas, l'Union européenne risque de condamner
la Belgique à des sanctions. Autrement dit, ils
doivent transposer dans la législation belge la
directive européenne de 2006 sur la rétention des
données. Le projet de loi a été soumis au Conseil
d'État pour avis. Les ministres espèrent
ainsi que la loi pourra être votée au Parlement
avant les vacances d'été.
En
Allemagne, en Roumanie, à Chypre et en Tchéquie,
les Cours constitutionnelles de ces quatre
pays respectifs ont déclaré que cette loi était
inconstitutionnelle. En Allemagne, près
de 35 000 personnes avaient introduit une requête
en annulation auprès de la Cour et, le 2 mars
2010, elle leur a donné gain de cause déclarant
qu'il s'agissait d'une loi « particulièrement
lourde de conséquences pour les droits des
citoyens et d'une portée sans précédent ».
La Cour a critiqué la rétention de données
en ce sens qu'elle permet « une intrusion abusive
dans la vie sociale et les activités privées des
citoyens » et qu'elle peut déboucher sur «
l'élaboration de profils de personnalité et de
déplacement détaillés de pratiquement tous les
citoyens ».1
Ce
projet de loi est sans conteste l'atteinte la plus
grave jamais portée à la vie privée, un des droits
protégés par la Déclaration universelle des droits
de l'Homme. Et la présomption d'innocence,
principe de base de l'État de droit démocratique,
est également menacée. De même, les
libertés fondamentales comme la liberté
d'expression, la liberté de la presse, ou le droit
de s'organiser librement sont aussi
attaquées. Qui pourra encore recourir aux
moyens de communication modernes par excellence
que sont le téléphone (mobile) et
l'internet pour communiquer librement et sans
contrainte sachant que toutes les données
de communication peuvent à tout moment être
consultées par la police, le parquet, le juge
d'instruction ou la sûreté de l'État
?
La justice dispose pourtant déjà de
tous les moyens nécessaires pour requérir dans un
dossier déterminé les données relatives au trafic
téléphonique et internet. Quant à la sûreté de
l'État, elle peut dans certains cas recourir à
toutes sortes de méthodes secrètes. Cette
nouvelle loi permettra donc de contrôler tous les
citoyens, même innocents. Plus que jamais, il
importe d'organiser une protestation de masse,
comme cela s'est fait en Allemagne.
1. Raf Jespers, Souriez, vous êtes fichés, Couleur Livres, 2013
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